Ce qui est le plus triste avec les étudiants atteints du Virus M, c'est que tout le monde ne réagit pas de la même manière. Parfois, c'est en pleurant. Parfois, c'est une crise d'ado. Parfois, c'est juste n'importe quoi et plein de sentiments mélangés. T'aimerais que tout le monde comprenne que vous êtes la -l'équipe de recherche- pour les sauver et pas pour les fliquer, mais tout le monde n'a pas ce point de vue la.

T'as entendu ton rendez vous de 15h15 entrer. Le genre gueularde, une des nouvelles atteintes. Quelques jours, tout au plus. Tu t'imagines qu'elle est énervée. D'après son dossier, elle était déjà un peu une troubleuse de l'ordre avant l'infection. Une des forces spéciales, les cas les plus difficiles.

"Je suis la, mademoiselle Fa. Tout va bien. Nous avons rendez vous pour votre check up bimensuel et pour d'autres choses un peu plus administratives."

Parce que t'es à la fois psy, médecin généraliste et médecin légiste, parfois. Même si le troisième boulot est le plus délicat, le plus détestable. Te dire que ces gens la, c'était des gamins que t'as croisé pendant dix ans, c'était la pire des impressions.

"Entrez. Nous devons discuter, puisque c'est notre première rencontre. Xia Fa, 5ème année, Sumire, B negatif. Tout est correct?"

Evidemment que tout est correct. Mais elle sait que tu t'es intéressée à son cas. Que c'est pas juste un numéro parmi tant d'autres.

Tu l'observes de haut en bas. Elle a encore ses petits problèmes de fourrure. D'après le dossier, elle ne le contrôle pas. Elle s’assoit sans rien demander mais tu n'en tiens pas rigueur. De toute façon, elle est mieux assise que debout à toucher à tout.

"Malheureusement ce check-up est bien plus important qu'un cours d'histoire de la magie, mademoiselle Fa. Normalement, nous nous retrouverons toutes les deux semaines à cet horaire, sauf problème de mon côté, ou du votre."

De ton côté, ça pourrait être une urgence sur un autre élève. De son côté, ça pourrait être une transformation rapide. Une transformation bien trop rapide et dangereuse. Alors tu poses ton royal popotin sur ta chaise, derrière ton bureau, et tu la regardes.

"Je vous ferais un mot de retard, ils l'accepteront. Bien. Passons au virus. Vous l'avez attrapé dans la semaine, c'est bien ça ? Du coup, les maux de têtes, les nausées. Comme si c'était la grippe? Malheureusement, ce n'est pas la grippe. C'est plus dangereux."

Pour l'instant, en tout cas. T'aimerais éviter de retrouver son bracelet sur un Yajuu.

"D'autres symptômes ? Quelque chose que vous voudriez rajouter ? Absolument tout peut nous aider."

Elle fait la dure. Elle se lève, elle plaque ses mains sur ton bureau. Comme si elle voulait se rebeller contre tout ça. Comme si c'était ta faute, si elle avait chopé ça. On parle pas d'une MST ou d'un Rhume, la. On parle d'un truc mortel. Pire que mortel. Tu relèves tes yeux pour les plonger dans les siens, et d'une voix douce mais sévère, tu reprends.

"Ne prenez pas ça à la légère, mademoiselle Fa. C'est plus que sérieux. Si vous comptez ignorer les symptômes et prétendre que rien ne se passe, j'ai des cages en verre vides dans lesquelles vous serez très bien installée."

Et tu retournes au questionnaire habituelle et procédurisé depuis des années par l'académie. Parce qu'il faut être efficace et agir dès l'instant. De toute façon, si elle avait montré des signes des stades 3 ou 4 aussi tôt, elle serait déjà en confinement. Pour le moment.

"Je ne suis pas la pour vous obliger à prendre des médicaments ou pour vous interdire de manger des burgers à tout les repas. Je suis la pour vous sauver la vie, et par extension, celle d'un sacré paquet d'élèves. J'en ai marre de ramasser vos bracelets dans un sac mortuaire."

Généralement, ça marche bien, quand tu remets les gens face à la réalité. Généralement.

Et voila qu'elle joue la grande tristesse. Enfin, jouer est un bien grand mot. Déjà, au ton de sa voix, tu sens qu'elle va craquer. Qu'elle va arrêter son petit jeu stupide. Qu'elle va enfin comprendre qu'elle est face au mur, et que si elle compte le traverser, il va falloir aider les constructeurs de boules de démolition. Tu coches une autre case et tu pose la tablette face à elle, avec tes observations. Tout. Son comportement énervé, le déni, les symptômes. Tu as même rajouté les effets aléatoires de magie, même si ils étaient présents avant.

"Vous pouvez lire si ça ne vous effraie pas. Si ça ne vous gêne pas d'être confrontée à la réalité."

Parce que c'était pas simple de lire ces dossiers. De voir que tout est traité de la même manière que les menus de cantine. La même typographie sur les documents, le même logo en haut de la page.

"Je consacre du temps aux patients. Tous. Parce que votre vie m'intéresse. Parce que je veux arrêter cette maladie, c'est tout."

Tu la regardes, tu récupères le document et tu retournes à tes observations.

"C'est une infirmerie, il y a plus joyeux, en effet. Mais nous devons travailler tout les deux pour en sortir, pas vrai?"

Parce que t'aimerais plus passer du temps dehors a voir les élèves grandir que les voir dépités dans ce lieu.

"Pas besoin de jouer à la méchante avec moi, ça ne fonctionnera pas."